Voilà, avec des passages difficiles, désolée, je m'arrête pour l'heure à la page 246 et vous aurez la 247 ce soir ou demain. J'attends le MP pour savoir si je fais 249 et/ou suivantes ou pas
Bonne lecture
Chapitre 6 - Dans la spirale du Dragon
Goldorak et l’identité japonaise
(Page 235)
Goldorak, soigneusement choisi comme symbole de la stratégie du Dragon, a joué un rôle de fer de lance dans la diffusion télévisée du Japon vers l’Italie, et de série préférée lors du premier boom de l’animé, période qui, en Italie, court de 1978 à 1982-83 ; Goldorak fut un mythe absolu pour toute une génération de jeunes téléspectateurs.
Dans ce chapitre, j’évoque la série, ses symboles et sa carrière japonaise. En partie 2, le thème sera repris en référence au contexte italien, comme partie de la discussion consacrée à l’arrivée, en Europe et notamment en Italie, du modèle culturel de la Machine tel que véhiculé par les séries impliquant des robots.
Plusieurs raisons font de Goldorak un cas digne d’étude malgré son ancienneté et son absence d’intérêt artistique. Tout d’abord, il a une importance dans le panorama japonais, mais aussi et surtout dans celui de France et d’Italie. Ensuite, il comporte un grand nombre de canons typiques de l’animation japonaise, parvenus ensuite en Europe, il est donc suffisamment représentatif pour faire l’objet d’un examen approfondi. Une troisième raison porte sur une nouvelle et nécessaire approche de la problématique de l’expression et de l’esthétique que dissimule ce type d’animé.
Par le passé, les outils courants de la critique ont échoué dans les tentatives d’analyses à partir de points de vue déconnectés du langage des séries animées et des contextes qui les avaient fait émerger. Dans ce chapitre j’interprète donc Goldorak en réunissant des notes de philologie et des considérations historiques, politiques et sociologiques avec pour but de contextualiser le produit en rapport avec les intentions, conscientes ou non, de ses créateurs. Cette analyse m’a aussi poussé à étudier davantage de pans généraux de l’histoire et de la politique japonaise qui ont impacté la série.
6-1. Le projet et le pilote de la série.
En 1972, l’année de la diffusion japonaise de la première série « à robots » à succès de Gô Nagai, Mazinger Z (arrivé en Italie en 1980), émergea dans l’archipel japonais un engouement pour les robots géants, particulièrement grâce à la contribution de la maison de production japonaise TOEI – concepteur de nombreux animé issus des œuvres de Nagai – et de Nagai lui-même qui, avec son studio de création DYNAMIC PROD., vint satisfaire les vélléités de production émises par la Toei.
Plusieurs séries similaires furent produites immédiatement après le succès de Maz Z : Great Maz, Getter Robo et Getter Robo G., Kôtetsu Jeeg, Groizer X, Daikû Maryû Gaiking (toutes les séries dont j’ai parlé en chapitre 3-2) et Goldorak. L’histoire de cet animé fut cependant un peu plus complexe que ses homologues. EN fait, avant de produire une véritable série à épisodes, Toei souhaitait faire un test d’audience avec un pilote de longueur moyenne.
ON PASSE DE LA PAGE 236 à la page 244, les autres n’étant pas libres d’accès (zut) :
(…), même les armures des soldats, sont semblables à des coques, en référence à un genre de science-fiction du cinéma des années 50. (… je passe)
Dans Goldorak, les enjeux sont plus importants et il y existe une liste de significations encore plus explicites : tant les ennemis que le héros sont d’origine extraterrestre et combattent sur sol japonais. Comme cela s’est produit dans la réalité historique, le Japon se serait trouvé à la merci de puissances supérieures sans l’intervention évidente du système de rééquilibrage évoqué plus haut : en dépit du fait que Goldorak et son pilote, le prince d’Euphor, sont d’origine extraterrestre et techniquement supérieurs aux scientifiques japonais incarnés par le Professeur Procyon et son centre de recherches, ils ne peuvent remporter la victoire et sauver leur terre adoptive que s’ils y participent d’un ordre moral et une stratégie d’ordre spirituel plutôt que militaire.
La façon sans scrupule avec laquelle les ennemis mélangent l’humain et le mécanique, le masculin et le féminin – les personnages transgenre, tels que le Baron Ashura dans Maz Z et Minos dans Goldorak, vus comme de fascinants mais ambigus exemples de tromperie/fusion d’ordre sexuel déplacés par rapport à la sage répartition masculin/féminin proclamée par la morale officielle terrienne – est contrebalancée par la répartition nette entre les champs conceptuels et esthétiques conçus par les humains. Tous ces couples d’oppositions semblent donc associés à une évidente supériorité morale du noyau dur des héros japonais et par extension, de ceux qui coopèrent avec les japonais – le prince d’Euphor et sa sœur – comparés aux extraterrestres, en dépit de la supériorité scientifique de ces derniers.
Le prince et sa sœur s’élèvent au niveau des japonais parce qu’ils combattent avec et pour eux, même si un regard plus naïf peut faire penser le contraire (que ce sont les terriens qui s’élèvent en combattant aux côtés du prince et de sa sœur).
Il n’est pas difficile d’observer des allusions au traumatisme né de l’agression atomique américaine et ensuite de l’inattendue réédification culturelle effectuée par ces mêmes envahisseurs, une contribution importante à la construction d’un nouveau Japon, démocratique et pacifique. William Gibson a observé que, dans la foulée des rapides progrès technologiques voulus d’en haut, de la seconde moitié du 19ème s. à la 1ère moitié du 20ème, ensuite après la mégalomanie impérialiste et la fin de la ruineuse guerre du Pacifique, les japonais trouvèrent face à eux un ennemi d’une force incompréhensible (…
qui aurait très bien pu provenir d’une autre galaxie (…) ).
Le prince d’Euphor et son robot, étrangers dotés d’une science évoluée et d’une puissance supérieure, peuvent être vus comme une allégorie des USA d’un futur imprécis – ou d’un présent alternatif – cohérent avec la démocratisation menée au Japon par les américains. Dans Goldorak, la menace n’est plus le dispositif militaire des américains, passés du rang d’ennemis au rang d’alliés via la réforme culturelle mise en œuvre par les forces d’occupation après l’armistice de 1945. Ainsi donc, la menace est d’un autre ordre et l’ennemi est à chercher ailleurs. Gibson a donné un indice et j’essaie de le clarifier d’un point de vue politico-historique.
Je reviens au thème de la supériorité morale des protagonistes pour corroborer la thèse que, dans l’animé, elle n’est pas associée d’une façon générale à une prétention d’hypothétique supériorité intrinsèque des bons par opposition aux méchants. On devrait garder à l’esprit que l’affirmation du nationalisme japonais durant la période coloniale a mis l’accent sur la prétendue supériorité japonaise comparée à la fois aux civilisations de l’Ouest et aux autres nations asiatiques, afin d’obtenir une solidification péremptoire de l’identité nationale et la définition d’une philosophie moderne et japano-centrée de l’Histoire. Au lieu de cela, dans les conflits qui ont cours dans l’animé, durant une période de l’histoire où le Japon a plus ou moins délaissé cette formule idéologique, il n’y a pas d’allusion – directe ou subliminale – à des différences d’ordre ontologiques et donc racistes entre protagonistes et adversaires. Au lieu de cela, l’accent est mis sur la capacité des deux parties à distinguer le bien du mal, à la seule différence que seuls les protagonistes choisissent de faire le bien.
Dans la grande majorité des animés japonais « à robots », la distinction entre les bons et les méchants ne relève pas de l’importance accordée à un acte (value judgement) mais relève de l’appréciation de la « grandeur » d’un personne (worth judgement) : tant les protagonistes que les adversaires réfléchissent consciencieusement avant de décider de la voie à emprunter. Ce point est loin d’être secondaire parce que, en omettant cette subtilité narrative et idéologique, à la fin des années 70 des observateurs ont critiqué l’animé – il venait d’arriver en Europe –, désorientés par les batailles spectaculaires et les couleurs vives, et cela produisit un malentendu sur les valeurs éducatives de ce genre de produit qui, au lieu de ça, avaient été créés en accordant une attention à la parité d’ordre ontologique entre les deux parties en conflit, dont la seule différence résidait dans leurs choix d’ordre moral.
6-2-4. Valeurs, philosophies et métaphores. La politique et les robots dans les années 70.
( à suivre : page 247)