Chapitre 10: La vie d'un soldat.
Plusieurs jours passèrent durant lesquels Niji et Horos prirent de nouvelles habitudes. Désormais, même si, chaque matin, le Végan venait réveiller la Terrienne et l’emmenait dans son laboratoire, il la ramenait chaque jour à midi, et rejoignait Minos pour lui faire part de ses progrès. Niji avait ainsi ses après-midis de libres pour s’occuper de l’éducation scolaire de Zgrum-zgrums et pour cuisiner.
Un jour, après avoir raccompagné la jeune femme dans sa cabine, Horos se fit annoncer à la porte du bureau du Commandant du Camp de la Lune Noire. Après l’avoir fait attendre quelques instants, celui-ci l’invita à entrer. Il était attablé devant son bureau et venait visiblement d’entamer des recherches depuis son ordinateur.
- « Ah, Horos! Prends un siège et installes-toi! J’ai encore une ou deux choses à vérifier et je suis à toi!
– Horos s’assit et patienta. Minos, qui avait lancé l’impression des documents qu’il consultait, se tourna vers le scientifique Végan. – Alors, comment avance ton expérience? Est-ce que tu es arrivé à obtenir d’autres renseignements grâce à tes interrogatoires?
– Minas intervînt – Je pense que je vais devoir la secouer encore un peu?!
– Avec quelques difficultés, Minos reparût et regarda Horos avant d’ajouter – Et voilà, je vais encore avoir une migraine! Minas prends de plus en plus le pas sur moi. Elle m’agace à se mêler de mes affaires et de mes discussions! Parfois, elle me coupe littéralement la parole! Et il y a des situations où ses apparitions sont plus que gênantes … Tu n’aurais pas une idée pour régler le problème? »
Horos regarda son confrère et lui répondit ironiquement.
- « Non, désolé pour toi, Minos mais je ne sais pas comment je pourrais t’aider sur ce point. À part en l’éliminant définitivement … je ne vois aucune solution. Malheureusement pour toi, si j’éliminais Minas, tu ne tarderais pas à la suivre! »
Minos fixa Horos, l’interrogeant du regard. Il savait que celui-ci pouvait être redoutable et que, s’il décidait de les tuer, il irait jusqu’au bout de son projet. Mais, apparemment, ce n’était pas ce qu’il avait en tête pour le moment.
- « Non, je te remercie, Horos, mais je crois que, finalement, je me contenterai d’avoir la migraine, une fois de plus!
– lui répondit-il en plaisantant à son tour. Après l’avoir de nouveau observé, il ajouta – Alors, que me voulais-tu? »
Horos hésita quelques instants, ne sachant pas par où commencer. Il regarda autour de lui et aperçût le papier de soie qui avait contenu le gâteau de St Valentin que Niji avait fait parvenir au militaire. Le désignant du doigt, il dit :
- « Tu sais que tu vas devoir lui offrir quelque chose en retour?! Il semble que ce soit là une de leurs coutumes! Est-ce que tu sais quel cadeau tu vas lui faire? Moi, je n’arrive pas à décider de ce que je pourrais lui offrir … Bien sûr, ce ne serait un cadeau que pour la forme … Par intérêt scientifique … J’ai l’impression que mon expérience n’avance plus. Si je veux qu’elle réussisse, il faut que je trouve le cadeau idéal pour l’occasion. Niji a confiance en moi, maintenant! Elle commence à m’ouvrir son cœur et bientôt, elle collaborera volontairement avec nous. Et tu peux remarquer que je n’ai pas eu à user de la force brute! … Mais pour ça, j’ai besoin d’être tranquille avec elle pendant un long moment, … plus long qu’une demi-journée! Sans compter qu’elle me demande régulièrement à aller sur Terre. À chacun de mes refus, je sens qu’elle s’éloigne de moi … Et ça, par contre, ce n’est pas bon pour mon expérience! »
Horos prit son front dans sa main en pensant que Minos n’allait pas être le seul à avoir une bonne migraine à gérer cette nuit.
- « Dans ce cas, pourquoi ne pas lui offrir un petit séjour sur Terre? Trois ou quatre jours te suffiraient?
– répliqua Minos. Horos le regarda quelques instants, doutant d’avoir entendu ce que Minos avait effectivement dit. Se méprenant sur la raison de la réaction de Horos, Minos reprit – Je ne peux pas t’accorder plus de temps, Horos … Le Stratéguerre risque déjà de me passer un savon si tu t’absentes aussi longtemps de la Base! »
- « Et tu prendrais le risque de lui déplaire, Minos? C’est surprenant de ta part de te mouiller pour me rendre service! Tu cherches à me piéger!? Qu’est-ce que tu y gagnerais? »
- « J’y gagnerais un peu de tranquillité et de sommeil … À cause de Minas, je suis debout à trois heures du matin tous les jours depuis que ta prisonnière a fait ce cauchemar …
– répondait Minos avant d’être de nouveau brusquement interrompu par son alter-ego féminin qui ajouta – Il n’est pas question que tu la remmènes sur Terre, Horos! Je n’ai pas confiance en elle! Elle t’échappera si tu lui cèdes. Et elle ira aider le Prince d’Euphor à nous vaincre. Elle sait trop de choses sur nous, il faut qu’elle …
– de nouveau, au prix d’un effort surhumain, Minos reprit le contrôle en vociférant contre Minas – Ça suffit, maintenant, c’est moi qui ai le grade de Commandant ici, pas toi Minas … Tu ne possèdes le commandement toi aussi que parce que nous partageons ce corps! Alors, quand c’est au Commandant Minos qu’on s’adresse, je te prierai de le ..., je veux dire ‘DE ME’ laisser répondre et décider de ce qui doit être fait sur cette Base! Je ne veux plus que tu m’importunes quand je travaille! … Horos, emmène-la, ta Terrienne! J’étais en train de faire quelques recherches sur les moyens de loger qui nous seraient accessibles … Il existe des endroits où les Terriens louent des chambres à la nuit! J’en ai trouvé une liste, prends-la
– Minos prit le paquet de feuilles qu’il avait imprimées et les posa devant lui sur son bureau – Il y a quelques temps, tu m’as parlé de l’endroit où elle avait rencontré l’homme dont tu prends l’apparence quand vous allez sur Terre ensemble … Pourquoi ne pas l’emmener là-bas? C’est assez éloigné de nos cibles habituelles, vous y seriez en sécurité … Choisis l’endroit qui te semblera le mieux convenir aux besoins de ton expérience et allez-y! »
Horos regarda Minos puis le paquet de feuilles et dit en souriant d’un air narquois:
- « Pourquoi fais-tu cela, Minos? Te serais-tu attaché à Niji, finalement?! Elle n’est pas si désagréable à côtoyer, n’est-ce pas? Toi qui me raillais quand je passais des journées entières avec elle et que je te disais qu’elle était intéressante! C’est vrai qu’elle est un peu étrange parfois mais si on excepte ses réactions incontrôlables, la conversation est souvent passionnante avec elle! »
L’officier Végan approuva d’un signe de tête.
- « Oui, mais ce que j’apprécie le plus, chez elle, c’est sa cuisine! … Ça me rappelle les plats que ma mère préparait quand j’étais enfant
– Horos approuva d’un signe de tête silencieux – Et les moments de silence qu’elle nous accorde, parfois! Sans compter qu’elle me salue poliment quand vous me croisez, le matin! … Mais toi aussi, tu apprécies ses petits plats, Horos … Nous n’avons pas mangé ensemble depuis le repas où elle nous avait préparé cet énorme oiseau rôti et cet étrange gâteau glacé qu’elle nous a dit être un morceau de bois! Tu ne partages quand même pas ses repas en privé, j’espère! »
Horos lui répondit:
- « Non, Minos, je ne mange pas en sa compagnie! Je ne suis pas assez fou pour ça! … C’est vrai que moi aussi, j’aime beaucoup sa cuisine et que, chaque soir, je mange ce qu’elle me prépare durant l’après-midi. Mais je mange seul dans ma cabine ou dans mon laboratoire pendant qu’elle mange dans la sienne. Je n’ai pas mangé en sa compagnie depuis l’anniversaire de ÀçhùÎzaegrùms. Et je te rappelle que nous étions quatre dans sa cabine! »
Sans prévenir, Minas reparût et répliqua, goguenarde:
- « Certainement pas quand je suis passée à trois heures du matin! … ÀçhùÎzaegrùms et Îrùclaed étaient tous les deux devant sa porte et toi, tu n’étais pas dans ta cabine, je suis passée te voir! Et je t’ai entendu sortir de chez elle vers six heures! Tu as passé la nuit avec elle. J’ai la preuve que tu étais dans son lit, cette nuit-là! J’avais des soupçons sur toi mais je n’aurais jamais cru que tu irais jusqu’à partager le lit de ta prisonnière! »
Horos, le front dans la main, se sentit pâlir en apprenant que Minas savait qu’il avait passé la nuit chez Niji. Il la regarda froidement en répondant.
- « Et tu crois que tes stupides soupçons sur l’endroit où j’ai dormi t’autorisaient à faire fouiller sa cabine et à tout détruire chez elle …! Ses vêtements … J’ai dû demander à une de mes gardes de lui prêter de quoi s’habiller pour le lendemain! Son journal intime, … dont les pages déchiquetées jonchaient le sol! Et son matelas! … Il était en charpie. J’ai dû le faire remplacer par le mien! LE MIEN, tu entends, Minas! … Et, pour répondre à tes sous-entendus, OUI, j’ai dormi dans son lit et NON, je n’en ai pas fait une Prise de Guerre!
– son visage s’éclaira quelques instants tandis qu’un sourire apparaissait sur son visage. – Pas encore, tout du moins ... »
Minas regardait le scientifique de haut. Méprisante, elle reprit:
- « TON matelas?! Tu veux dire qu’elle dort dans ton lit, maintenant?! Pourquoi ne lui as-tu pas fait remplacer ce matelas par ceux des soldats? »
- « Non, Niji et moi, nous ne dormons pas dans le même lit, Minas! Comment cela se pourrait alors qu’elle ignore où est ma cabine?! J’ai simplement fait transférer le matelas de mon lit au sien parce qu’ils ont presque la même taille! Et j’en ai pris un nouveau pour moi! »
*****
Pendant que Horos et Minos discutaient de ce qu’ils allaient offrir à Niji pour le Jour Blanc, Zgrum-zgrums était dans la salle des gardes avec Îrùclaed. Celui-ci avait pris en main la formation militaire de l’adolescent car le jeune soldat n’avait reçu que les bases avant d’être affecté sur le Camp de la Lune Noire. Durant l’heure précédente, ils avaient travaillé le combat au corps à corps et Zgrum-zgrums s’essuyait maintenant le visage. Îrùclaed regarda fièrement son élève:
- « Bientôt, tu seras plus fort que moi, ÀçhùÎzaegrùms! Il va falloir que je m’entraîne plus sérieusement si je veux encore te tenir tête quelques temps! »
- « Non, je sais que vous me laissez gagner! »
- « Comment ça, je te laisse gagner!?
– plaisanta Îrùclaed en lui donnant gentiment un coup de poing dans l’épaule – C’est pas en te laissant gagner que je ferai de toi un bon garde, gamin! … Appelle tes parents et donne-leur de tes nouvelles! Après, j’appellerai ma femme! Elle a accouché il y a un mois, et avec mon enquête j’ai même pas pu aller les voir! Et si j’appelais tout de suite, je ne pourrais pas voir le bébé! Vas-y!! »
Zgrum-zgrums se mit devant l’écran et tapota quelque chose. L’écran grésilla un instant et, enfin, un couple apparût. Îrùclaed les salua d’un signe de tête et sortit prendre une douche. Zgrum-zgrums fit un signe de la main et dit:
- « Bonjour, M’man! Bonjour, P’pa! Comment ça va, à la maison? »
- « Ça va, ça va!!
– répondit son père – Et toi, fils? Qu’est-ce que tu nous racontes? Tes collègues, ils sont comment? C’est pas trop difficile, ton boulot de garde? Et ta prisonnière, elle se tient tranquille? »
La mère de Zgrum-zgrums donna un coup de coude à son époux pour le faire taire.
- « Arrêtes de lui poser toutes ces questions, Papa, et laisses-le te répondre!
– sans attendre, elle se tourna vers Zgrum-zgrums et ajouta – Alors, mon petit, est-ce que tu continues à apprendre tes leçons avec la Terrienne? J’espère que tu n’oublies pas de te laver comme il faut, hein! Un soldat ne doit pas être crasseux! … Et un garde encore moins! Pourquoi tu es tout décoiffé? »
Zgrum-zgrums baissa les yeux, gêné. Heureusement pour lui, l’adolescent était seul dans la pièce.
- « M’man, arrêtes, par pitié! Oui, je suis propre, je suis décoiffé parce que je viens de m’entraîner avec mon chef! J’irai prendre une douche avant d’aller étudier avec Madame Niji! Elle est gentille, j’aimerais bien que vous la connaissiez! Elle m’apprend à cuisiner. L’autre fois, elle m’a montré comment préparer une soupe de graines. Elle dit que ces graines-là, elles poussent à des endroits où il y a beaucoup d’eau. On pourrait peut-être essayer de les faire pousser dans les marais … En tout cas, je l’aime beaucoup!
– l’adolescent baissa de nouveau le regard et ses parents sourirent – Elle m’a demandé des nouvelles de la petite sœur? Est-ce qu’elle a arrêté de tousser? »
– le sourire sur le visage de ses parents disparût et sa mère se mit à sangloter. Sa sœur avait moins de trois ans et était née après qu’il se soit engagé. Il ne l’avait vue qu’une seule fois, quelques mois plus tôt, juste avant d’être envoyé sur la Lune.
Son père prit son inspiration avant de répondre:
- « Fils, ta sœur est malade! Et c’est grave … C’est la peste des marais. Si on ne l’envoie pas sur Sanatoria, elle risque de ne pas vivre jusqu’à son prochain anniversaire! Ta mère et moi, on ne voulait pas te le dire pour que tu ne t’inquiètes pas. Mais, même si on l’envoie sur cette planète pour qu’elle guérisse, on ne pourra pas rester avec elle et les garde-malades coûtent cher! »
Zgrum-zgrums sentit des larmes couler sur ses joues tandis qu’il prenait une décision aussi importante que le jour où il s’était engagé dans les armées de Véga. Il renifla et dit:
- « Envoyez-la! Je payerai avec mes économies … Je gardais un peu d’argent pour quand je viendrai vous voir, mais je trouverai une autre solution! La vie de ma petite sœur est plus importante que tous les autres cadeaux que je pourrai vous faire! Et quand je viendrai sur Stykadès pour la Grand Fête, j’irai la voir sur Sanatoria en passant! C’est sur le chemin depuis la Terre! »
Îrùclaed, qui avait entendu la fin de la conversation, entra à ce moment et Zgrum-zgrums quitta ses parents, les yeux rougis et le visage mouillé de larmes. Comme il s’essuyait les joues, Îrùclaed, touché par sa peine, posa la main sur l’épaule du jeune soldat.
- « Si t’as besoin de quelque chose, n’hésite pas à me le demander, d’accord gamin? »
Zgrum-zgrums hocha la tête en reniflant une dernière fois.
- « Oui, merci, Îrùclaed! Je vais aller prendre une douche! … On se retrouve devant la cabine de Madame Niji dans trois heures? J’ai un cours avec elle dans une demi-heure, je ne dois pas être en retard! »
Zgrum-zgrums attrapa sa cagoule et sortit. Alors qu’il approchait du secteur où se trouvait la chambrée où il dormait, il croisa Horos qui venait de quitter Minos. Ils se saluèrent mutuellement sans se parler. Horos savait que Niji attendait le jeune soldat. Malgré tout, il nota que celui-ci avait pleuré. Il tourna au bout du couloir pour rejoindre sa cabine. La chambrée de Zgrum-zgrums devait être vide à cette heure de la journée. Ça arrangeait le jeune soldat.
*****
Quelques instants plus tard, quelqu’un entra dans la cabine voisine de celle de Niji. Le délicat parfum de la jeune femme flottait dans l’air. Et comme toujours, il se mêlait agréablement à l’odeur de sa cuisine. L’individu sourit, s’avança vers le panneau qui séparait les deux pièces et l’ôta. Se glissant à l’intérieur du placard, il entrouvrît la porte et jeta un coup d’œil dans la cuisine. Elle était là, à quelques mètres de lui, debout devant le plan de travail. Un couteau à la main, elle coupait les makizushi qu’elle venait de préparer. Elle chantonnait doucement et il ferma les yeux, se laissant bercer par sa voix et sa chanson. Le souvenir de son contact le fit de nouveau sourire. Soudain, un frisson parcourût sa peau. Sa tête toucha la porte qui s’entrouvrit un peu plus en grinçant. Se tournant vers le placard où il se cachait, Niji demanda d’une voix peu sûre:
- « Y’a quelqu’un? … Zgrum-zgrums, … Îrùclaed, … Général? C’est l’un de vous? »
Silencieux, il ferma les yeux, espérant qu’elle n’ouvrirait pas la porte. N’obtenant pas de réponse, elle repoussa la porte entrouverte avant d’aller s’asseoir et de prendre le cahier qu’elle utilisait désormais pour y écrire son journal. Tandis que, après avoir de nouveau entrouvert la porte, il la regardait, elle écrivit:
Shiro,
Je viens encore de penser à lui à l’instant! J’avais l’impression qu’on m’observait depuis le placard de ma cuisine. Et j’ai pensé à lui …
Sans arrêt, j’entends sa voix, je vois son visage, détendu comme cette nuit-là, quand il s’est endormi sur le lit. Il était si beau! Il ressemblait à un Prince! Il souriait vraiment. J’ai l’impression que je ne l’avais jamais vu sourire, avant ça! Il avait l’air heureux! … Sinon, pourquoi se serait-il assoupi comme ça, sur mon lit.
J’étais bien, cette nuit-là, juste à côté de lui. J’étais calme. Comme à l’époque où tu étais là … Je l’entendais respirer doucement. Et quand, tout en dormant, il a passé son bras autour de ma taille, j’aurais voulu arrêter le temps ... Rendre ces secondes interminables … J’aurais dû prendre sa main, … ne pas le réveiller, … peut-être qu’il aurait compris ce que je ressens! …
Comme les tiens après ta disparition, ses bras me manquent en permanence. Je voudrais m’y blottir et ne plus les quitter. J’y suis tellement bien! Je m’y sens en sécurité, à l’abri de tous les dangers … Je peux y écouter son cœur battre et j’ai l’impression que le mien bat au même rythme. Ils font Toum-ta, Toum-ta, Toum-ta, à l’unisson.
Quand il me sert contre lui comme le jour où les soldats ont tout cassé ici, et que nous, nous étions dans la cabine voisine, je sais que je n’ai rien à craindre tant qu’il sera là pour veiller sur moi. Il me tenait tout contre lui pour me protéger. Je sentais sa respiration et son parfum. Malgré ma peur, je me sentais bien. J’étais avec lui! … J’ai même eu la sensation, à un moment où on était seuls tous les deux, qu’il sentait l’odeur de mes cheveux. Mais j’ai dû rêver !
Jamais je n’aurais pensé que j’arriverais un jour à regarder un autre homme de cette façon ... Je veux dire, avec la même tendresse que lorsque tu étais près de moi. J’espère que tu ne m’en veux pas trop de ressentir ça pour lui.
Regarde comme il est beau, l’homme que j’aime aujourd’hui!
Sur la page suivante, elle dessina en souriant un visage, celui de Horos, tel qu’elle l’avait vu le soir où ils avaient fêté l’anniversaire d’ÀçhùÎzaegrùms. Après avoir posé son crayon, elle embrassa le bout de ses doigts avant de les poser sur les lèvres du portrait.
De nouveau, un bruit provenant du placard la fit sursauter. Elle se leva et posa le cahier sur son siège. Saisissant le couteau qui était posé sur le plan de travail, elle s’approcha de la porte entrouverte.
- « Sortez maintenant ou je vous promets que je vais me défendre! Je suis armée et je sais me battre! Et si vous ne me croyez pas, demandez aux chef des gardes du Général, lui, il le sait! »
Celui qui l’avait observé recula rapidement et, au moment précis où elle ouvrit le placard, il replaça la paroi entre les deux cabines et la bloqua d’une main tout en faisant coulisser trois petits loquets de l’autre. Chagrin qu’elle ait perçu sa présence, il alla prendre une douche avant de ressortir de la cabine. Niji ferma la porte et tira avec difficulté un meuble qu’elle plaça devant la porte pour empêcher celui qui l’avait épiée de revenir en douce. Puis elle ouvrit la porte de sa cabine et, apercevant Horos qui s’éloignait, elle le désigna au garde et le rejoignit en courant. Elle le saisit par le bras et l’entraîna de force vers sa cabine. Il protesta:
- « Mademoiselle Kurozuki, j’ai une réunion importante avec Minos dans cinq minutes
– il lui mentait sans honte, sa réunion avec son collègue ayant été repoussée d’une demi-heure, car il avait à faire avant. – pour préparer notre prochaine attaque, … je passerai après! »
- « Non, Général, après, je donne un cours de japonais à Zgrum-zgrums et je ne veux pas que vous nous dérangiez! Venez, il n’y en a pas pour longtemps! »
Il soupira avant de lui céder.
- « D’accord, je vous suis !
– ils entrèrent dans la cabine et Niji le poussa vers la cuisine – Qu’est-ce qui ce passe ? Pourquoi vous avez déplacé ce meuble devant ce placard ? »
– demanda-t-il.
Niji se réfugia dans son dos et lui répondit :
- « Il y avait quelqu’un dans le placard, tout à l’heure, Général! Je l’ai entendu remettre la paroi! Il m’observait ! Je ne veux pas que cet accès à ma chambre reste ouvert! Il faut le boucher ou je dormirai dans le couloir! »
- « Non, je ne veux pas que vous dormiez ailleurs que dans votre chambre. Je vous l’ai dit, vous êtes en sécurité, ici! Celui qui vous observe le fait pour votre sécurité. Mais je vais donner des ordres pour que cet accès soit fermé dès demain, puisque vous insistez! »
- « Et cette nuit, je fais comment, Général? Je reste plantée devant le placard pour être sûre qu’il n’entre pas?! »
Horos secoua la tête en souriant.
- « Si vous voulez, je peux dormir dans le fauteuil. Comme ça, votre épieur ne passera pas par-là, cette nuit, d’accord? »
Niji approuva l’idée de Horos d’un signe de tête. Elle sourit en pensant qu’il allait veiller sur elle un fois de plus. Il lui rendit son sourire et, en sortant de la cuisine, il lui dit:
- « Je mangerai ce que vous m’avez préparé et je viendrai dans disons,… cinq heures!? »
- « À dans cinq heures, Général!
– déposant un baiser sur sa joue, elle ajouta à voix basse – Merci! »
Horos sortit et Zgrum-zgrums entra, surpris de le recroiser aussi rapidement. Alors que le jeune garde apprenait, le scientifique Végan alla chercher ce qu’il avait oublié et retourna dans sa cabine. Il se mit devant son secrétaire et prit de quoi écrire.
Hérésia,
J'écris cette lettre en sachant pertinemment que jamais tu ne la liras. J'ignore ce que tu es devenue depuis ce procès qui nous a séparés à jamais. Malgré les années écoulées, je sens confusément que tu es toujours vivante quelque part. Comment as-tu fait pour t'échapper avant que le vaisseau ne s'écrase sur Akéreb? Je l'ignore! Mais je sais que tu y es parvenue, comme d'habitude ...
Cela fait bientôt 5 ans que le Stratéguerre nous a ordonné d'asservir la Terre. Depuis, nous avons découvert que le Prince d'Euphor s'était réfugié ici avec notre plus belle œuvre! Tu avais raison, il est vraiment puissant. Tes améliorations de mes plans l’ont rendu difficile à vaincre, même pour moi qui en connais les caractéristiques d’origine sur le bout des doigts. Les Terriens l’envoient souvent se battre contre nous, accompagné par une sorte de petite soucoupe jaune qu’ils ont armée. Ce moucheron est plus qu’agaçant et il faudra bien qu’un jour, nous parvenions à capturer son pilote, peut-être pour l’utiliser comme appât pour attirer le Prince d’Euphor dans un piège. En tout cas, malgré toutes nos tentatives, nous échouons toujours à abattre Goldorak. Mais ce n'est pas là le sujet de ma lettre. J'avais besoin de m'éclaircir les idées comme nous le faisions lorsque nous étions étudiants.
Il y a quelques mois de cela, nous avons enlevé une scientifique Terrienne, Niji Kurozuki. Elle se trouve maintenant avec nous au Camp de la Lune Noire ... Elle semble penser que nous pourrions être amis, et je dois t’avouer que je trouve l’idée intéressante quoique saugrenue au possible. Elle est très intelligente et te ressemble beaucoup. Au début, elle semblait détester le Stratéguerre autant que toi! Puis j'ai découvert qu'elle avait été blessée à la tête et qu'il lui manquait quelques neurones. Après régénération, il semble que, même si elle ne l'apprécie pas, elle plaint le Grand Stratéguerre plutôt qu'elle ne le hait.
Je sais qu'ici, à la Base, peu de gens apprécient Niji (à l'exception d’un jeune Palustri que j’ai désigné pour être son garde personnel). Beaucoup la trouvaient trop directe au départ ... Impertinente et insolente, même! La plupart n'a pas cherché à savoir si elle avait changé. Minas la déteste vraiment! Il faut dire qu’elle a fait très fort avec elle en l'appelant 'Sorcière' la première fois qu'elle l'a vue!... Et Minos ne lui parle que très rarement. Il dit que sa voix lui donne des migraines. Par contre, il aime sa cuisine!
Dix jours après son arrivée, j'ai instauré quelques règles pour elle. Ce qui m'étonne, c'est que, alors que ses règles devaient me permettre de la contrôler, je me dis aujourd'hui que je les ai peut-être faites pour une autre raison ... Je ne pense qu'à une seule chose quand je la vois, fragile comme les champs de fleurs d'Arachnia: la protéger! ...
Une semaine après son arrivée parmi nous, alors que nous étions sur Terre, elle s'est fait agresser par quatre Terriens. Alors que j'en profitais pour passer pour un héros à ses yeux en éliminant ses agresseurs, elle s'est réfugiée près de moi. Je n'avais à cet instant qu'une seule idée en tête, veiller sur mon expérience, que ces Terriens mettaient en danger. Mais jamais je n'avais ressenti autant de plaisir en protégeant une autre vie que la mienne, à part peut-être celle de mes enfants.
Puis elle a été malade et j'ai découvert son état de santé et la blessure dont je te parlais plus haut. Le traitement a fait effet et j'ai commencé à m'intéresser à son passé. J'ai ainsi découvert comment elle avait perdu mari et enfant. Découvrir que, pendant sa convalescence, j'avais fait apporter ses affaires sur la Lune lui a sans doute causé un choc violent car la nuit suivante, elle a fait un cauchemar et j'ai dû, de nouveau, la veiller.
Le lendemain, elle m'a invité à partager un repas d'anniversaire avec elle, Îrùclaed et ÀçhùÎzaegrùms. Ce dernier m'a soufflé du chocolat en poudre au visage et quand, après les avoir fait sortir, Niji a voulu nettoyer ma chemise, je me suis endormi sur son lit. Lorsque je me suis réveillé, je la tenais dans mes bras! Tu imagines ma gêne! Heureusement, après m’avoir gentiment taquiné, prétendant que nous étions devenus intimes, elle m'a rassuré: je n'avais, pour me retrouver ainsi contre elle, fait que me retourner dans son lit.
Peu après, Minas a ordonné une fouille en règle de sa cabine. Les dégâts que ses soldats ont fait ont bouleversé Niji qui a eu beaucoup de mal à s’en remettre. J’en ai profité pour respirer son odeur sucrée et celle, fleurie, de ses cheveux … Depuis, j’ai l’impression qu’elles m’environnent. Le jour où j’ai enfin eu fini de réparer le fauteuil de son mari, Niji m’a donné un énorme gâteau avant de faire un geste qui, à mon avis, doit être une preuve de l’affection grandissante qu’elle semble maintenant éprouver pour moi: Ses lèvres sont entrées en contact avec ma joue ... Ce geste de sa part était volontaire, j’en suis certain! D’ailleurs, elle vient de le refaire! Pourtant, même si nos cultures sont différentes, ce geste m'a immédiatement semblé naturel.
Je ressens la même chose quand elle prend mon bras ou qu’elle me tient la main ... Une vague impression que ses gestes m'apaisent ... Non, en y repensant, ce n'est pas juste une impression, ... ils m'apaisent vraiment! J’ai aussi, assez souvent, la sensation que nos pensées sont semblables ou tout du moins liées. Par exemple, il n’est pas rare que, en projetant une action contre notre ennemi, je pense soudain à Niji et à ce qu’elle dirait si elle était à mes côtés.
Je réalise, en écrivant ces dernières lignes, que ce que je ressentais pour toi n'était pas réellement de l'amour mais une de ces amitiés teintées d'admiration. Le savais-tu? Peut-être! Heureusement, ce que tu m’as fait, ainsi qu’au Stratéguerre nous a évité un mariage qui n'aurait jamais vécu. Je réalise aussi que les liens qui m’attachaient à Aïcila sont toujours aussi présents à mon esprit, même si je n'ai jamais ressenti avec elle la même chose que ce que j'éprouve en compagnie de Niji.
Je sais maintenant que, quoi que je fasse, mon expérience avec elle échouera car je tiens plus au sujet qu'à son résultat ... Je me suis attaché à elle, te rends-tu compte? Comme on s’attache parfois à une Prise de Guerre avec qui on partage plus que quelques instants d’intimité forcée. Mais je tiens à elle de tout mon cœur, sincèrement et avec énormément de tendresse!
Je te remercie, Hérésia, de m'avoir appris que, parfois il faut savoir se battre pour ceux qu'on aime. Je sais maintenant quel doit être mon combat!
Ton cousin,
Horos.
Horos relût sa lettre, la plia et, après quelques secondes d'hésitation, la glissa dans la poche intérieure de son vêtement, près de son cœur. Il était près de cinq heures du soir et le scientifique sortit pour rejoindre Minos et préparer leur prochaine attaque sur la Terre. Avant de quitter sa cabine, il s’assura d’avoir la lettre qu’il adressait à Hérésia dans la poche de son vêtement. Un sourire éclairait son visage tandis qu’il avançait en direction de la salle de réunion.
*****
Minos reposa la feuille devant lui.
« Alors c’est ça ton plan avec elle?
– demanda-t-il à Horos – Tu veux en faire ta Prise de Guerre!? »
« C’est beaucoup plus subtil que ça, Minos ... Mon plan est d’en faire une Prise de Guerre, oui, mais sans qu’elle s’en aperçoive! Je vais faire en sorte que Niji découvre cette lettre et qu'elle la lise pendant notre petite virée sur Terre.
– répondit Horos tout en glissant de nouveau le papier dans sa poche. – Depuis quelques temps, elle a appris à reconnaître quelques mots de notre langue à l'écrit, comme les noms de ma femme et de ma cousine, par exemple. J'ai fait en sorte qu'elle les apprenne, en fait. Je vais continuer à attiser sa curiosité naturelle à leur propos et si elle reconnaît leurs deux noms, elle voudra savoir. Et je donnerai l'ordre à ÀçhùÎzaegrùms de lui traduire ce que j'ai écrit si elle le lui demande. Elle croira ce qu'il lira, parce que lui, il n'est pas au courant de mon stratagème, et qu'il réagira de façon naturelle en découvrant ce que je prétends être mes sentiments pour elle. Je te préviens juste pour que Minas évite de faire capoter ce point essentiel de mon plan.
– répondit Horos tout en glissant de nouveau le papier dans sa poche. – Mais dis-moi, de soldat à soldat ... As-tu déjà fait une Prise de Guerre, dans ta vie, Minos? »
Le Commandant demeura silencieux quelques instants, le cœur serré comme le jour où ils avaient découvert que leur ennemi se cachait sur Terre ... le jour où Elle était morte au combat. Il ferma les yeux et se planta les ongles dans la cuisse gauche, se concentrant sur cette douleur pour ne pas fléchir devant Horos. Puis, prenant une longue inspiration, il répondit
« Oui, une fois! Elle s’appelait Kiitia. J’étais en poste sur Lesbos. Elle était si belle, comme toutes les filles de son peuple! ... Elle est morte en soldat, à bord d’une des navettes, lors de notre première attaque sur la Terre ... Assassinée par le Prince d’Euphor. »
« Alors tu sais qu’elles savent très bien quand elles sont nos Pri...
– soudain, Horos réalisa que Minos avait dit ‘assassinée’ et non simplement ‘abattue’. – Minos, tu t’étais attachée à la tienne? Ce n'est pas un reproche mais ça me surprend! »
L’officier de Véga hocha la tête, muré dans son silence. Puis, au bout d'un long moment, il ajouta, comme pour se dédouaner.
« Plus qu’attaché, en fait! Nous avons fini par devenir très proches. Kiitia s’est engagée dans les forces de Véga pour me retrouver et me rejoindre. Elle avait un courage qu’on n’aurait jamais soupçonné chez une femme aussi fragile d’apparence. Quand je l’ai prise, j’avais presque vingt-cinq ans, et elle, tout juste quinze. Je l’ignorais. Je ne comprenais quasiment pas sa façon de parler, à cette époque. »
« Oui, je connais un peu le parler Lesbani, et je dois avouer que même pour moi, c’est parfois un peu ... confus! »
« C’est leur grammaire qui veut ça ... ou, comme Kiitia aurait dit, ‘Mot-ordre de Lesbani-façon-dire comme ça être-faire’. »
« On dirait que tu es né Lesbani, tu le parles parfaitement! Dis-moi, Minos, te souviens-tu quel mot elles utilisent, pour traduire ‘Prise de Guerre’? »
Le Commandant ne s’en souvenait que trop bien. À l’époque, l’ignorer lui avait valu un blâme de la part de son Capitaine.
« Bien sûr que je m’en souviens, la dernière fois que Kiitia l’a dit pour moi, c’était sur cette Base, il y a presque deux ans. Mais pour nous, il n’avait plus le même sens. Elles disent ‘Soldat-dur’ ...
– un sourire passa quelques secondes sur son visage à l’idée du bon mot qu’il s’apprêtait à ajouter – Comme si un soldat pouvait être autrement, face à de telles splendeurs!
– Comme un seul homme, ils éclatèrent de rire, à l’idée que chacun d’eux était aujourd’hui capable de comprendre les subtiles nuances que cette langue à la syntaxe si différente des leurs propres. Reprenant son sérieux pour se lever, Minos avoua sur le ton de la confidence, tout en tendant un verre à Horos et en s’en servant un autre. – Je dois bien avouer qu’elle me manque, parfois ... quand Minas me laisse un peu de répit pour réfléchir au passé. »
__________
Lien vers les chapitres 11 à 20:
http://www.goldorakgo.com/forums/viewto ... f=8&t=4611